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Bonjour Nuage, l'écologie peut-elle être glamour ?

N°32. Mode éthique, reprise et rencontre esthétique


Le 5 Juin 2023

 

☁️ Bonjour Nuage,

Ça fait longtemps non ?

1 mois tout pile en fait.Entre temps tu as eu deux hors-série audio et vidéo, mais je conçois que ce n’est pas pareil.

Après tout, c’est un autre format. Et moi-même j’ai conçu ces hors-série différemment, pour que ce soit complémentaire, que ça nous apporte autre chose, sinon cela n’avait aucun intérêt.

D’ailleurs, si tu les as écoutés, qu’en as-tu pensé ?

En tout cas, voici le retour des lettres hebdomadaires Bonjour Nuage.

J’espère que tu vas bien.As-tu fait “ce qu’il te plaît” durant ce mois de Mai ?

De mon côté, il s’est passé énormément de choses. Cela a été très riche et j’ai l’impression qu’il s’est écoulé bien plus qu’un mois.

Peut-être que c’est important et nécessaire de faire des pauses dans notre correspondance de temps en temps. Ça permet de prendre du recul, et de se rendre compte de la progression non ? En tout cas, j’ai trop de choses à te dire maintenant.

C’est excitant.

Un peu comme quand tu ne vois pas quelqu’un pendant plusieurs jours alors que vous vous voyez normalement quotidiennement.

Se séparer pour mieux se retrouver en quelques sortes ?

J’y vois bien plus clair dans l’orientation que j’ai envie de me donner. De comment je veux écrire et la place que je veux que cela prenne dans ma vie. Tout est bien plus équilibré et rangé dans ma tête : entre Le Placard d’Âme sur Instagram, le blog (que j’ai d’ailleurs tout refait), Bonjour Nuage et les Archives du Nuage sur le Patreon.

Mais je t’expliquerais une autre fois si tu veux.

Là, je sors d’un appel avec Claire. Tu sais, ma copine journaliste qui tient le podcast Coutures Apparentes ? Elle y parle de mode responsable et de féminisme. On avait collaboré sur plusieurs épisodes et articles qu’elle propose en tant que pigiste.

Elle a un article à rendre pour Marie-Claire cette semaine, sur l’inclusivité et la diversité dans la mode éthique.

Et on a un peu parlé du fait que plusieurs marques se disant “éthiques” sont destinées à une clientèle de femmes aisées, blanches, minces etc. Qu’elles manquent donc parfois cruellement de représentation et d’inclusivité, et ne souhaitent pas non plus changer car cette clientèle leur permet de faire leur chiffre.

Cette démarche est, non seulement pas très responsable car on reste dans une logique de sur-consommation (genre acheter toutes les mailles Sézane à chaque nouvelle collection), mais en plus pas vraiment écologique car pas engagée sur le plan social.

Elle m’a ressorti ces deux citations que j’aime beaucoup :

“L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage” de Chico Mendes.

Et elle m’a dit que le jardinage c’est sympa en soi, mais le but final est différent quoi.

Et, “Le féminisme sans lutte des classes, c’est du développement personnel”, il me semble que c’est de Nancy Franser mais pas sûr…

Mais en soit, lorsque l’on y réfléchit, d’un point de vue business cela semble “logique” pour les marques. Déjà que les marges en mode éthique sont faibles par rapport au luxe ou à la fast-fashion, elles s’assurent leur chiffre en capitalisant sur une clientèle privilégiée.

Le souci, est que cette clientèle aisée est la seule visée, et qu’on ne cherche pas non plus à la sensibiliser. Car c’est inconfortable pour elle de se “déconstruire” et remettre en question ses privilèges. C’est tout le concept de “fragilité” blanche, masculine, etc.

Et aussi d’élitisme. Quelque chose qui est présent partout en raison du système capitaliste qui est le nôtre, mais aussi spécifique à la France car nous aimons fonder notre image sur le côté intellectuel, élite bourgeoise. Et ce depuis des siècles. Ça remonte aux philosophes des Lumières, mais même avant avec la monarchie et la Cour française très prestigieuse.

Tout cela repose sur un principe d’exclusivité. Il n’y a plus d’élite si tout le monde est lae bienvenu.e.

L’élite ne veut pas se mélanger.

Elle m’a parlé de la stratégie qui est de “glamouriser” la mode éco-responsable pour la faire connaître et sensibiliser sur l’écologie et les luttes sociales.Néanmoins, pour moi, comme je lui ai dit, placer “écologie” et “glamour” ensemble est un oxymore. La notion de glamour provient de la culture classiste et élitiste.

Une personne pauvre ne peut pas être glamour même si elle tente d’adopter certains codes “glamour”, elle sera juste “vulgaire” ou “bling-bling”.

Ainsi, parler de glamouriser l’écologie, semble utile à première vue, mais contre-productif si cela participe juste à renforcer un système classiste, raciste, sexiste, et j’en passe. En tout cas, si le côté glamour est une porte d’entrée, cela ne peut pas être une finalité si l’on veut réellement changer les choses.

Et donc les marques dites “éthiques” qui décident de capitaliser sur cette clientèle privilégiée et exclusive, ne peuvent pas trop aller dans une inclusivité radicale. Sinon, elles prennent le risque de perdre leur clientèle aisée qui veut l’exclusivité et le confort de ses privilèges. Et sans l’argent de cette clientèle, il est plus dur pour une marque générer du profit et survivre.

On se retrouve alors dans un engrenage. On se dit éthique, écologique et responsable, mais en même temps on perpétue une forme de domination de classe, de race, de genre, etc.

C’est compliqué.

Tu vois ce que je veux dire ?

Je pense aussi à la disparition de nombreuses marques réellement éthiques et engagées ces derniers mois.

Dur de rester à flot dans un contexte de crise économique lorsque ta clientèle est issue de la classe moyenne ou précaire. Car oui, diversifier sa clientèle pour inclure des personnes marginalisées, c’est potentiellement perdre des clientes aisées pour gagner des admirateurices qui ne pourront pas nous payer.

Et puis, il y a un phénomène de société aussi qui joue.

J’en avais parlé avec Clée (ratonrêveur sur Instagram) après que Minuit sur Terre, la marque de chaussures véganes, ait annoncé être en galère et menacée par la faillite.

En plus du contexte économique actuel, deux autres choses sont, à mon sens, à prendre en compte :

Déjà, le modèle d’une marque réellement responsable repose sur la sensibilisation au “consommer moins mais mieux”. Et donc, si ta clientèle veut moins consommer, tu vends moins. Ça veut dire moins de chiffre. Ton succès dépendra alors de ta capacité à élargir ta clientèle. Et il faut les trouver les gens qui s’intéressent à la consommation responsable et végane, et qui ont les moyens de le faire.

De plus, les marques de mode éthique abouties vont proposer moins de collections pour ne pas pousser à la sur-consommation et la sur-production. Elles vont aussi éviter de suivre les tendances. Donc moins de choix, moins de couleurs, moins de motifs.

Dans un contexte social où aujourd’hui, on veut exprimer son individualité unique via ses vêtements, où on ne veut pas ressembler aux autres, où on veut se démarquer, les basiques proposés par les marques de mode éthique (même si elles proposent de plus en plus des choses originales) ne répondent pas aux envies des consommateurices.

On se tourne plus vers les friperies car ce sont des pièces uniques, en plus d’être moins chères.

Tout cela joue. Et les marques de mode réellement engagées en pâtissent.

On pourra parler une prochaine fois de cette envie d’exprimer son individualité et se distinguer des autres via notre apparence une prochaine fois car c’est un sujet très intéressant. Il est étroitement lié au système capitaliste qui incite à montrer notre valeur ajoutée et notre supériorité sur les autres, mais aussi, paradoxalement (ou pas ?), au besoin de se révolter contre une société capitaliste standardisée et uniformisante.

Mais cette lettre de reprise est déjà assez longue et je ne voudrais pas qu’on se perde.

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