- un mythe qui transforme
Pour la première fois depuis sept ans, nous avions réussi à nous retrouver. Tous ensemble. Et sans les enfants.
Ça, c’était un changement.
Il y a une dizaine d’années, les naissances s’étaient enchaînées et il était devenu compliqué de réussir à se capter. Je ne leur en voulait pas bien sûr. J’avais bien compris en les voyant gérer leurs bambins et nouveaux-nés que c’était chronophage et énergivore. Néanmoins, je revenais toujours un peu déçue de n’avoir pu obtenir en plusieurs jours qu’une seule partie de leur attention dans nos conversations, la plus grande étant accaparée par les enfants.
C’était aussi toujours moi qui me déplaçait. Chez les unes et les autres. Car leurs vies étaient trop occupées, et moi, célibataire et sans gosses, j’avais le temps et les possibilités vous comprenez ?
D’ailleurs, c’est ce qu’iels ne cessaient de me balancer. Que j’avais bien de la chance de pouvoir travailler d’où je voulais, d’être célibataire et de n’avoir que moi dont je devais m’occuper.
Pourtant, à chaque fois qu’on se voyait ces dernières années, je ne pouvais m’empêcher de ressentir une forme de gêne.J’avais l’impression qu’ils me prenaient en pitié parfois, ou qu’ils s’inquiétaient.Mais bon.
On devait se l’avouer, une distance s’était installée.
Loin était le temps où nous entamions nos études et étions prêts à tout révolutionner. Nous ne prenions plus la route avec de vieilles voitures avec un pot d’échappement cassé, ne rêvions plus à des métiers particuliers, ni ne passions des journées allongées dans l’herbe à discuter.
Nous nous étions rangé’es.
Dans une boîte avec un une maison, une voiture, un métier propret, plusieurs mariages avec enfants et des bouteilles de vin dans le cellier.
Et je dois avouer, que je m’emmerdais.Que même si j’étais “libre” comme tous me le rabâchaient, ma vie était tout aussi monotone que les leurs.
Alors, lorsqu’Olive, en riant, lâcha d’un ton désinvolte :
“Eh beh dis-donc, on en a des nouveautés à nous raconter ! On mériterait bien de nous balader un peu dans le brouillard rose d’à côté. Histoire de nous secouer.”.Je réagis alors immédiatement : “Qu’est-ce qu’il a le brouillard d’à côté ?”.
Nous étions affalées dans les fauteuils et canapés autour de la cheminée, au milieu d’une auberge désertée. On avait vidé quelques bouteilles, et on faisait maintenant tourner deux pétards allumés, en cercle. Chacun’e tirait deux trois bouffées, avant de faire passer.
“Vous n’en avez pas entendu parler?”, répondit-il en regardant autour.
Je secouait la tête, comme mes deux voisines, avant de me pencher vers la table pour piocher le dernier feuilleté, complètement froid maintenant, mais toujours aussi bon. J’enchaînais avec un morceau de melon.
Nous avions réservé 5 jours, dans un chalet de montagne, en plein été. Il était impossible pour eux tous de s’absenter en hiver et ainsi de manquer les vacances de Noël en famille, tandis que là, tous avaient réussi à se débrouiller. Iels avaient envoyés les enfants chez leurs grands-parents, en colo ou chez des copains. Sofia avait rajouté : “en plus c’est bien mieux, les locations seront moins chères à cette période. Et puis je déteste la neige.”.
Super.
Non, en vrai c’était sympa. La perspective de randonner en montagne l’été me ravissait.
Olive poursuivit :
-Quand on était ados, la rumeur courait que des gens disparaissaient pendant des jours dans la montagne. Et que dans ces moments-là , une brume rose flottait sur le sommet, ou dans la vallée je ne sais plus.
-C’est quand même pas pareil un sommet ou une vallée, taquina Miko.
-Moque-toi, mais en tout cas, apparemment ces gens-là revenaient changés.
-Certainement qu’ils avaient trop fumé. Ça m’est arrivé une fois, j’ai voulu tester une nouvelle variété et m’enfumer tout un week-end. Je vous raconte pas !
On avait déjà entendu cette histoire des tas de fois.
Le sujet était retombé. Je voyais déjà Kenda se renfoncer dans le canapé pour écouter - encore une fois - le récit de Sofia, Olive prendre une poignée de cacahuètes et Jules chercher un briquet dans les coussins du canapé, lorsque Romi ouvrit doucement la bouche : “Du coup, on y va ?”.
Sur ces mots, on se retrouvait à présent à 6 heures de l’après-midi, en train de monter sur le sommet de la montagne d’à côté. Du pain, du raisin et de l’eau dans nos sacs à dos, un vieux flacon de Popper’s dans celui de Clara qui l’avait ramené pour “rigoler comme au bon vieux temps”. Jules avait levé les yeux au ciel sur cette justification, et seul Loris avait refusé de venir, préférant faire la sieste au chalet pour décuver.
Nous étions donc montés, presque au complet.
Le groupe était animé par quelques conversations, des rires, beaucoup de grommellements et un silence qui s’installait de temps en temps, paisiblement. Le plan était de trouver la brume rose, mais, lorsque la nuit commença à tomber, quelqu’un se décida à demander : “on fait quoi en fait ?”.
Nous n’avions même pas pris de lampes torches, et certaines avaient commencé à sortir leur smartphones pour s’éclairer.
-On a qu’à attendre le lever de soleil, ce sera stylé non depuis le sommet ?
-Non mais super et on fait quoi pendant 6 heures gros malin ?
-Pas la peine de s’énerver, on a qu’à redescendre tranquillement et…
-Eh regardez.
Olive s’était exprimé d’un ton tranquille, il regardait en contre-bas.
Éclairé par la lune, on pouvait voir dans la vallée un léger brouillard qui s’était installé. Un brouillard, aux teintes rosées.
En silence, et s’en vraiment le réaliser, nous avions toustes commencé à nous avancer dans sa direction. Un peu éparpillées, et sans se concerter. C’est en silence, alors que la brume s’épaississait, que nous y sommes rentrés.
…
C’est au petit matin que l’on est ressortis. Un peu au compte-goutte. Enfin j’imagine, car je suis arrivée seule à l’auberge. Un peu hébétée.On avait raté le lever de soleil.Encore embrumée. Mais décidée à changer, à enfin évoluer, et me concentrer sur ce qui importait. Maëlle était déjà là, avec Kenda. Loris leur avait préparé le petit déjeuner. Olive arriva juste derrière moi, puis les autres au fur et à mesure.
Nous buvions notre thé et café dans le silence. Loris avait renoncé à nous questionner. Il nous avait juste informé du fait qu’il faudrait bientôt tout ranger : la semaine de vacances s’était écoulée.
Ce n’est qu’au bout de plusieurs heures, ou minutes, peut-être, que la voix de Miko s’éleva : “Prochaines vacances on se voit ?”.
Comments