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"Heroin-chic" : quand les standards de beauté mettent nos corps, notre mental et nos vies en danger


Savais-tu que le “booty” de Kim Kardashian n’était plus à la mode ?

Eh non.

D’ailleurs, il paraîtrait que la fameuse star de télé-réalité américaine, anciennement avec Kanye West, aurait fait retirer ses implants fessiers ! Siiiii ! Elle a publié cet été des photos d’elle montrant son nouveau fessier bien moins imposant qu’avant, en disant qu’elle avait minci.


Bref, osef, nous ne sommes pas là pour parler people mais standards de beauté toxique et impacts sur notre santé physique et mentale. Quoique... Tout ça est lié en réalité...


Récemment, le New York Post a fait scandale sur Tik Tok en publiant un article sobrement intitulé : “Bye Bye booty : heroin chic is back”.


Je te recommande d’ailleurs de la regarder en préambule (elle dure 1 minute).


Le format était trop court : il ne m’a pas permis d’aller de développer correctement mon propos. J’avais d’autres choses à rajouter car j’aime aller au fond des choses.

D’où cet article.


Poursuivons.

De nombreuses personnes, majoritairement des femmes, ont réagi négativement à la une du New York Post évoquée précedemment. La phrase : “nos corps et nos morphologies ne sont pas des tendances” est souvent revenu. Le fait que la tendance “heroin chic” des années 2000 soit créatrices de TCA était aussi systématiquement abordé.


Pourtant, il me semble que l’idéal “heroin chic” est loin d’être le seul à avoir créé des TCA. Tous l'ont fait. On a même eu des bonus en cadeau. En effet, ces idéaux et tendances ne sont pas uniquement source de mal-être global, mais aussi de dismorphie corporelle, de fétichisation ou encore de discrimination.


Si beaucoup de magazines ont récemment décidé de s'emparer de l'affaire, leurs analyses étaient certes interessantes mais incomplètes. Certaines étaient consensuelles et passaient à côté de nombreux autres systèmes de domination indissociables du problème.


Il m'a paru donc nécessaire d'apporter une vision un peu plus intersectionnelle à tout cela.

Tout est tellement plus intéressant lorsque l'on se rend compte que le noeud que l'on tient entre les mains est en fait relié à une pelote entière. Non ?

Si. Allez.



TW! TCA, dismorphie, mal-être




Nos corps sont objectifiés : une vision féministe décoloniale


Nos corps n'ont jamais cessé d'être réduits à des tendances. Avant le retour de l’héroïne-chic annoncé par le New York Post, c’est l’esthétique “slim-thick” popularisée par les Kardashian qui était en vogue.

Un emprunt clair aux femmes noires, ou du moins à leur morphologie-stéréotypée : des hanches et des fesses généreuses. Les Kardashian n’en sont d’ailleurs pas à leur coup d’essai lorsqu’il s’agit de pratiquer le “black-fishing” et la récupération de caractéristiques liées à la communauté noire (on se souvient des tresses collées que Kim Kardashian avait rebaptisées les “Kim braids”).


On remarquera au passage que les tendances résultant d’emprunts aux femmes racisées participe souvent à invisibiliser ces femmes et leurs communautés au profit des femmes blanches occidentales qui les adoptent.

Les populations marginalisées continuent donc d’être discriminées et exotisées malgré le fait que certains de leurs traits soient devenues désirables. Parfois, cela participe même à renforcer l’exotisation et la fétichisation qu’elles subissent.


C’est la même mécanique que l’on observe lorsque l’on parle d’appropriation culturelle.


Les tendances et standards de beauté ne concernent pas seulement la minceur ou la grosseur de nos corps, mais aussi la couleur de notre peau, la nature de nos cheveux, la forme de notre nez etc.

Ces standards sont occidentalo-centrés. Si bien que les personnes racisées en sont d'office écartées.


J’en parle dans le post ci-dessous si cela t’intéresse :



La tendance des corps “slim-thick” a participé à doper le nombre de chirurgies esthétiques ces dernières années. En particulier pour une procédure appelée la BBL (Brazilian Butt Lift) qui consiste à augmenter le volume des fesses via une technique de lipofilling.


Elle est inspirée d’une procédure commune au Brésil depuis des années, d’où son nom.


Il y a eu de nombreux accidents et cas de chirurgies ratées réalisées par des escrocs se faisant passer pour de réels chirurgiens ou chirurgiens non-qualifiés pour réaliser ce type de procédure. Les prix bas qu’ils proposaient leur permettait d’attirer une clientèle de jeunes adolescent-es et adultes vulnérables.


Sur YouTube, on ne compte également plus les vidéos de sport ciblées pour affiner la taille tout en grossissant les fessiers.



Plusieurs tendances sociales qui ont influencé la vision de nos corps récemment

En parlant de sport, l’ère de la fit-girl et du fit-boy ça te dit quelque chose ?

Une usine à TCA également.

Bien sûr, faire du sport est une bonne chose sur le principe. Néanmoins, lorsque cela se mue en une obsession du physique cela devient beaucoup moins sain.


Le monde des salles de sport regorge de personnes ayant recours au “binge-eating” avec les fameux cheat-meal seulement une fois par semaine. Iels s’imposent des menus très restrictifs toute la semaine pour s’autoriser à “craquer” un jour dans le week-end en se gorgeant de nourriture.


On ne compte plus les vidéos YouTube promouvant des cheat-days toujours plus extrêmes : “cheat day de 10 000 calories”, “cheat-day etc. dans lesquelles les gens avalent des quantités de glaces, de burgers ou encore de gâteaux.


Ces comportements sont, à mon sens, une autoroute vers les TCA.

En effet, la nourriture est alors assimilée par le cerveau comme une récompense. On se conditionne alors pour accepter la privation le reste de la semaine, dans la perspective du “cheat-day” à venir.


Je projette peut-être mon propre cas ici, mais on trouve aussi très facilement sur YouTube de nombreux témoignages de personnes ayant quitté le monde de la salle et affirmant se sentir beaucoup mieux depuis.

L’orthorexie y est également très répandue. De nombreux aliments sont en effet diabolisés car : trop gras, pas assez nutritifs, (ou pas nutritifs de la bonne façon). Ils sont présentés comme des risques pouvant ruiner ce corps idéal que l’on souhaite créer ou maintenir.


Malgré tout, quelques grandes figures du milieu tentent de prendre la parole sur tout cela, et d’adopter un discours beaucoup plus positif et déculpabilisant sur la nourriture et le sport en général.

Car, au fond, vouloir prendre soin de son corps est positif tant que c'est fait dans un cadre bienveillant.


La mode est un éternel recommencement.

Après presque 10 ans à promouvoir les courbes, ce à quoi nous assistons aujourd'hui n'est qu'un retour aux tendances des années 90 et 2000. D'ailleurs, la mode Y2K (années 2000) a participé à remettre sur le devant de la scène les silhouettes filiformes des it-girls (icônes) de l'époque : Kate Moss, les soeurs Olsen, Paris Hilton, etc. Kim Kardashian a partagé le régime-miracle qui lui a permis de rentrer dans la robe de Marilyn Monroe pour le Met Gala de 2021.

Tumblr et son esthétique emo-grunge reviennent en force, forts de cette nouvelle esthétique créée par la série Euphoria et dans laquelle sont glamourisés : drogue, minceur et décadence.


Ça vous rappelle quelque chose d'ailleurs ce triplé de mots ? L'héroïne chic oui. Ce style tendance tire en réalité son nom du destin tragique de Gia Carangi, première supermodel de l'époque. Elle est décédée avant ses 30 ans après être devenue accro à l'héroïne et avoir contracté le virus du Sida. Quand on voit l'origine de cette tendance, peu étonnant qu'elle soit aussi néfaste pour notre santé (mentale et physique).


À tout cela, vient s'ajouter un phénomène à la popularité grandissante sur ces dernières années : la K-pop.

Les artistes, appelés dans le milieu “idols”, sont choisis et façonnés pour correspondre à des standards de beauté très stricts. Ils sont un savant-mélange de l’idéal de beauté coréen et de l’idéal blanc-occidental.


On retrouve par exemple un nez fin, des yeux clairs, un double paupière, une minceur (parfois voire souvent peu saine), une mâchoire marquée, des cheveux lisses, une bouche pulpeuse, la peau claire (au point que les idols ont recours à des cabines-UV blanchissantes pour rendre leur carnation naturelle moins dorée et plus blanche, du maquillage blanchissant, et sont également white-washé-es dans leurs vidéos en post-production).


Petit effet miroir avec les crèmes blanchissantes et soins défrisants que je voyais partout durant mon enfance, et qui sont malheureusement encore bien présents dans certains pays.


De nombreuxses idols développent des troubles alimentaires (TCA) et sont en sous-alimentation constante... au point de s'effondrer sur scène.

Sur internet, on retrouve énormément de “What I eat in a day” recopiant les menus d’idols célèbres avec des portions alarmantes. Les “workout routines” d’idols sont également faciles à trouver.



digression

En restant dans la culture coréenne et ce que l’on trouve sur internet : les mukbangs. Ces vidéos dans lesquelles une personne mange des quantités énormes de nourriture devant la caméra. Elles ne sont plus le monopole de la Corée puisque de nombreuxses Américain-es ont construit leur chaîne YouTube sur ce concept. Ce sont même elleux qui ont grandement participé à transformer les mukbangs en des challenges extrêmes de nourriture (en terme de quantités consommées, mais aussi dans le choix des aliments). Pour les personnes vulnérables, il s’agit purement et simplement d’un trigger pour une crise d’hyperphagie, dans laquelle on est en plus accompagné-e par la personne de la vidéo.



Depuis quelques mois, la tendance est aux visages émaciés. Un savant mélange d’idol épuisé-e et de mannequin conforme aux standards des années 90. Latendance du “old-money”, l’esthétique bourgeoise, est également, à mon sens, liée à ce phénomène. Beaucoup souhaitent avoir l’air riches dans leur style vestimentaire. Mais, attention, pas “nouveau riche” car cela s’apparenterait au vulgaire, au peuple. Non, il faut avoir l’air de venir d’une vieille lignée bourgeoise.

Plusieurs pensent que cette fascination aristocratique vient en réalité se positionner à l’encontre du mode de vie des influenceureuses californien-nes et de leur luxe ostentatoire. À l’image du style “preppy” du milieu des années 2000 qui venait contrer l’extravagance Y2K, la “old money aesthetic” serait une sorte de rejet des tendances actuelles.

Et, dans notre société grossophobe et classiste, la minceur est associée à la richesse. Être mince, voire maigre, c’est être chic.

Pour correspondre à ce nouvel idéal, de nombreuses stars ont donc eu recours à des régimes drastiques, ainsi qu’à la chirurgie. Alors que Kim Kardashian a perdu énormément de poids, d’autres comme Anna Taylor Joy, Leah Michele, Khloe Kardashian, ou encore Sophie Turner, auraient eu recours à la chirurgie en supplément pour creuser leur visage.




Il s’agit de l’opération “buccal fat removal”.

Cela consiste à enlever la graisse contenue sous le muscle des joues, qui ne part pas en perdant du poids. Des chirurgiens ont alerté sur cette opération. Certains refusent même de la faire maintenant. En effet, elle serait irréversible. Cette graisse est nécessaire pour maintenir l’élasticité de notre peau. Plus on vieillit, plus on la perd. D’après eux, l’enlever prématurément via une chirurgie, pourrait accélérer le vieillissement de la peau. Elle pourrait s’affaisser bien plus vite.

De plus, de plus en plus de chirurgiens expriment leur inquiétude quant au fait de modeler son corps au grès des tendances. Surtout lorsque l’on sait que nos tendances sont de plus en plus éphémères. Que fera-t’on lorsque les joues rebondies seront de nouveau à la mode dans 2 ans ?

Réinjecter de la graisse artificielle dans nos visages n’aura pas le même effet, ni la même fonction dans l’organisme.

En parallèle, de nombreuses célébrités - hommes comme femmes - réalisent des implants de mâchoire. Le but ? Obtenir une “jaw line” impeccable : une mâchoire bien définie et tranchante. Beaucoup tournent ces tendances d’opérations esthétiques en ridicule en affirmant que dans 5 ans, nous ressembleront toutes et tous à une version glamour et “chadifiée” de Carlo le Poulpe.

Aperçu :




Bref, quelle que soit la tendance et l’idéal de beauté du moment, cela promeut toujours des standards de beauté et un idéal innatteignables naturellement. D’où le mal-être que certain-es peuvent ressentir par rapport à leur corps et leur visage.



Et le mouvement body positive alors, il a aidé ?

Oui ! Je pense. Même s’il a lui aussi ses dérives.

Beaucoup de gens regrettent le fait qu’une personne grosse n’est valorisée en société et dans le mouvement Body Positive qu’à la condition d’avoir un beau visage, d’être blanche, etc.


Nous revenons alors aux standards de beauté occidentaux évoqués au début de cet article.

En enlevant juste le terme “mince” de l’équation, on oublie tous les autres critères de beauté problématiques et excluants : “peau blanche”, “cheveux lisses”, “nez fin”, “morphologie en X”, etc.


Le mouvement body-positive manque aujourd’hui d’intersectionnalité et donc d’inclusivité (alors même qu’il a été créé par une femme noire, avant d’être récupéré par les féministes blanches).

Ironique, mais pas étonnant.


Et le mouvement body neutral ?

On est un peu mieux à mon sens.

Néanmoins, (parce que j’aime pinailler et vouloir le moins d’exclusion possible) le mouvement reste dans une logique de productivité et n’est donc pas totalement neutre.


Je citerais un commentaire que j’ai vu sous une récente vidéo YouTube d’OliSunvia pour illustrer mon propos :

“lots of body issues stem from the expectation of value. having an attractive body serves a purpose that benefits me. body neutrality only shifts the narrative from form to function. ‘i like my legs because they help me run’ is also a value judgement—my legs are providing me a service. both interpretations suffer from a rise in consumerism. it’s like we always have to be marketable.”

Le “body neutrality” n’inclurait donc pas vraiment les personnes handicapées par exemple. En effet, aimer ses jambes car elles nous permettent de marcher. Ou notre corps car nos poumons nous permettent de respirer correctement, n’est pas le cas de tout le monde.

Et même sans cela, il nous place dans une logique d’utilité avec notre corps. Et non dans une reconnaissance et une acceptation désintéressée de notre morphologie, couleur de peau, etc.



Mais tout n’est pas négatif !

Ouvrir le débat, la réflexion et penser à tout cela nous permet petit à petit de déconstruire plusieurs de nos biais pour nous sentir mieux. Plus facile à dire qu’à faire bien entendu comme toujours.


Les choses évoluent !

Le monde du mannequinat (qui l’aurait cru ?) change avec les discussions autour de Gigi Haddid et sa mère.

Une dénonciation forte des discours pouvant créer des TCA (en particulier une crainte de manger) se met en place sur les réseaux sociaux.

On observe aussi la mise en avant de plus en plus de corps et d’ethnies grâce aux marques inclusives.


Les discussions autour du genre ont leur rôle à jouer également ! Les stéréotypes autour du physique à avoir en tant qu’homme ou en tant que femme s’effacent.

Le lien entre “physique androgyne” et minceur, voire maigreur, est enfin de moins en moins évident grâce à l’action de la communauté non-binaire qui réfute l’idée d’un troisième genre mince et ambigü.


Les choses changent.

Le fait que les gens aient vivement critiqué et même enterré le New York Post sur les réseaux sociaux en témoigne.

J’ai donc hâte de voir la suite.

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