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Bonjour Nuage, aimes-tu travailler ?

N°21. Hustle culture, amphithéâtre et style

 

☁️ Bonjour Nuage,

Tu te souviens du confinement d’il y a 2, bientôt 3 ans maintenant ? Je ne sais pas comment tu l’avais vécu mais moi ça avait été un vrai soulagement.

Et bien sûr, je ne veux pas être insensible pour les personnes qui ont été directement impactées par le COVID en disant cela.

J’étais dans un état de craquage imminent. J’avais commencé mon premier emploi post-diplôme depuis à peine 5 mois et je n’en pouvais déjà plus.

Le small-talk, les discussions superficielles à la machine à café, le bruit constant dans l’open-space, la difficulté à comprendre comment interragir avec les gens, à trouver le bon medium de communication, trouver le juste équilibre dans le ton à adopter - comment échanger de façon professionnelle sans pour autant paraître froid.e, méchant.e, impoli.e, etc. -, les interruptions constantes des gens qui te sollicitent à l’oral à ton bureau pour des trucs qui pouvaient attendre la prochaine réunion ou être mis dans un mail (beaucoup moins envahissant), …

J’ai envie de pleurer rien qu’en t’énumérant tout cela.

Je pensais en être remis.e mais peut-être pas tant que ça finalement.

Bref.

Le confinement a salvateur pour moi à ce niveau-là.

Je n’étais pas en burn-out au sens où on l’entend d’habitude - à cause de la charge de travail (puisque je partais toujours à 17h30 en ayant plus avancé que mes collègues donc on ne pouvait rien me dire) -, mais bel et bien en burn-out autistique en raison de tout l’aspect social qui me submergeait.

Je ne sais plus trop pourquoi je te racontait tout cela. Je me suis laissé.e embarquer par les souvenirs en route j’crois…

Mais je sais que je voulais te parler du monde du travail. Ou plutôt du monde de l’entreprise.

On a déjà parlé dans une ancienne lettre du capitalisme, et du fait que de plus en plus de gens sur les réseaux expriment leur épuisement et leur ras-le-bol quant à leur emploi. Qu’iels n’en peuvent plus de passer donner tout leur temps, leur énergie et leur capital émotionnel à une entreprise qui les traite comme des pions remplaçables et s’enrichit sur leur dos.

Mais aujourd’hui, j’aimerais te parler de la hustle culture.

La hustle culture, littéralement “culture de l’agitation”, c’est, en d’autres termes, la culture de la productivité toxique. Elle normalise et glorifie les longues heures et efforts passés pour atteindre un objectif, et ce au détriment de sa santé physique, mentale et de ses relations sociales.

Si au début c’était surtout valable dans le milieu pro : faire des heures pas possibles et travailler pendant ses vacances pour “réussir”, ce mode de pensée a, depuis quelques années, pénétré le milieu perso aussi...

Même dans notre temps de loisir et de repos, il faut que l’on fasse des choses excitantes, hors-normes, ou qu’au moins on s’“agite”. Car sinon, la société nous fait ressentir que notre vie est nulle et ennuyeuse. Que l’on a rien d’intéressant à partager. Et donc, que l’on a pas de valeur.

Tu penses que tu visualises le genre de conversation que j’évoque non ?

-Tu as fait quoi ce week-end ? -Oh j’ai juste traîné un peu dans le parc à côté de chez moi, j’ai bu un thé et lu un peu dans mon canapé avec mon chat. -Ah… ok. Et le week-end prochain tu prévois quoi ? -Pareil je pense. -Ah… ok. -Et toi, machin ? -Moi je suis parti en week-end, on a fait une randonnée et du bateau. Puis on a testé un nouveau resto. Et hier en rentrant j’étais claqué mais je suis allé boire un verre avec une pote du lycée. -Wha trop cool ! Vous étiez où ? Et le resto c’était quoi ? Trop bien ninanianiania…

Tu vois l’idée ?

Bon, personnellement, c’est la première histoire qui m’intéresse le plus et me donne envie de poser des questions. Du style : “il est comment le parc à côté de chez toi ?”, “Tu y vas seul.e ?”, “Tu y fais quoi, tu regardes les gens ?”, “C’est calme ?”, “Et t’aimes quoi comme genre de thés ?”, “Ton chat n’est pas trop triste de vivre dans un appartement ?”. Cette conversation imaginaire m’excite déjà haha, je vais arrêter.

Mais, souvent, les gens te font te sentir nul.le de n’avoir “rien” fait. Alors que bon, tu n’as pas rien fait. Et puis, même, il n’y a aucun mal à ne rien faire, encore plus sur ses jours de repos.

En tout cas, voici la Hustle Culture. Il faut toujours que tout ait l’air rempli et excitant, sinon ce n’est pas intéressant.

Il faut être productifve. Même lorsque l’on n’est pas au travail.

Voilà. Le capitalisme et ses valeurs sont présentes partout.

Et, pour revenir aux vagues de personnes qui critiquent le monde de l’entreprise et du travail, cela me donnait une lueur d’espoir.

Je me suis dit : “ah on est de plus en plus à penser comme cela, peut-être qu’à terme le système pourra être renversé avant qu’il ne soit trop tard”. Mais, si la culture du productivisme est entrée à ce point dans nos cerveaux, je sais pas…

On est plusieurs aujourd’hui à vouloir transformer nos “hobbies” en activités lucratives.

Bien sûr, en un sens ça se comprend. Pouvoir vivre d’une passion c’est clairement un rêve pour beaucoup. Comme dans le monde actuel, on a besoin d’argent pour survivre, mieux vaut ça qu’un travail que l’on déteste entièrement.

Mais, imaginons que ce n’est pas un métier et simplement un loisir. Même sans vouloir que cela nous rapporte de l’argent, on est parfois quand même dans une logique de productivité, jusqu’à en oublier le plaisir.

Par exemple, on s’impose de peindre au moins 2 heures tous les week-ends plutôt que de le faire quand on en a vraiment envie (et peut-être peindre pendant 6 heures d’affilé un jour férié). Ou de lire. Ou de faire du yoga dans une logique performative (arriver à faire des positions impressionnantes et instagrammables) plutôt que juste pour soi et parce que ça nous fait du bien.

Je me demande si c’est vraiment une bonne chose de se forcer ainsi. L’argument qu’on pourrait avancer c’est : “oui mais sinon je ne ferais rien”. Je comprends. En faisant un parallèle avec la dépression, je comprends pourquoi parfois il faut bien tenter de sortir de son lit. Mais, je me pose tout de même les questions suivantes :

“Prend-on vraiment du plaisir dans une activité que l’on s’est forcé.e à faire ?” “Si l’on a envie de ne rien faire, peut-être est-ce car on a besoin de réel repos ?” “Pourquoi est-ce un problème de ne “rien faire” ?”

Je n’ai pas forcément de réponses mais je me questionne.

C’est tout une vision des choses sur laquelle on doit se pencher j’ai l’impression.

Je me demande ce que tu penses de tout cela.

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