N°35. IA, vieillissement et trans-humanisme
Le 26 Juin 2023
☁️ Bonjour Nuage,
Nous sommes obnubilé-es par les signes visibles de l’âge.
Ce n’est pas nouveau, mais peut-être encore plus présent (ou visible) ces dernières années.
Sur les réseaux sociaux, où tout est relié à l’apparence et au physique, les contenus parlant du vieillissement pullulent. Les nouvelles générations semblent obsédées par la peur de vieillir.
Filtres anti-âge sur les réseaux, routines skincare avec des recommendations de crème anti-âge dès 15 ans pour prévenir les signes de l’âge, astuces maquillages, promotion et accessibilité des procédures et chirurgies esthétiques, etc. On a même des vidéos expliquant comment boire à la paille pour ne pas creuser les rides autour de sa bouche, voire même les estomper.
L’omniprésence de la technologie et d’internet dans nos vies, en tant que générations ayant grandi avec les machines, y est - à mon sens - pour quelque chose.
La génération Z en particulier, est très consciente de son image en ligne, et maitrise (bien plus que toute autre génération) les codes du “personnal branding”, ou : comment se créer une image de marque, mais en tant qu’individu.
Cela est à double-tranchant puisqu’elleux/nous avons une conscience aïgue de notre image et de ses failles, de nos défauts. Tout devient apparences, l’estime de soi et la confiance baisse. Une pression incomensurable se met en place pour atteindre des standards de beauté et de personnalité, souvent innatteignables. Et cela est dû au fait d’avoir grandi avec les réseaux sociaux.
La génération Z a été désignée comme la génération ayant le moins de confiance en soi (et en l’avenir) de toutes jusqu’à présent.
Et c’est assez intéressant car ça se manifeste différemment selon les réseaux j’ai l’impression. La génération Y - les millenials -, est la génération Instagram : le temple de l’apparence lisse et parfaite. La génération Z, est plus sur TikTok, où tout semble à première vue plus décontracté et naturel, mais où on est en réalité dans une image très calculée aussi : on étudie et façonne une image “authentique”, mais cela ne veut pas forcément dire “spontané”, au contraire.
Au final, tout est jugé, calculé, il est dur d’être soi-même, de montrer des failles, et cela mène parfois à une angoisse rien qu’à l’idée d’être perçu-e.
Il y a toute une industrie derrière bien sûr qui fait de la thune sur ce modèle.Les plateformes sociales bien sûr, mais aussi les entreprises de cosmétiques, de vêtements, de développement personnel, la médecine esthétique, etc.
Sur cela, tu le sais, j’en ai déjà parlé mais je vais le répéter : chacun-e fait ce qu’iel veut.
Je m’en contrefiche et ne suis pas contre la chirurgie esthétique.Ma réticence vient du fait que, dans beaucoup de démarches, la notion de choix et de liberté n’est pas là. Beaucoup dépensent cet argent pour modifier leur physique par pression, par peur, pour se conformer aux standards de beauté, ne pas être rejetés, etc. Et ça, c’est triste.
Pour revenir au fait de vieillir, à l’idée que les signes d’âge sont considérés comme des défauts.
Ca a toujours été le cas, je l’ai dit, il y a l’idée que la “fraîcheur” accorde de la valeur. En particulier chez les femmes, car jeunesse est synonyme de fertilité… On ne reviendra pas maintenant sur le côté patriarcal de tout ça, vous êtes au courant je pense.
Un angle qui m’intéresse de creuser est le lien entre “refus de vieillir” et dystopie transhumaniste.
En gros, le transhumanisme propose de transcender l’espèce humaine.Il ya des avis divergents sur le sujet honnêtement.
D’un côté, certain-es disent que la technologie va permettre de dépasser les limites de l’espèce humaine et donc d’évoluer en mieux, de devenir tout-puissant, se rapprocher d’une divinité.Et d’autres disent que c’est dangereux de “jouer à Dieu” et que ça glisse aussi vers de l’eugénisme.
Pour Charbonneau, le transhumanisme implique une vision du monde où la multiplicité et la diversité sont insupportables et doivent être éradiquées, dans une logique totalitaire. Alors que pour d’autres, comme Chardin, le coeur du projet transhumaniste est de remodeler la biologie humaine. La modification technique de l’être humain doit servir à améliorer les capacités de l’être humain : physiques et mentales.
C’est la foi en la technique pour dépasser la nature humaine considérée comme encombrante.
Cette vision a tendance à m’inquièter car les glissements sont, comme je l’ai dit : la suprématie et l’eugénisme. Le frère d’Aldous Huxley (qui a écrit la dystopie Le Meilleur des Mondes) était dans une logique transhumaniste, contrairement à son frère écrivain, qui lui, avait une santé fragile et avait bien conscience que, d’après la pensée de son frère, il ferait partie des gens mis de côté car “trop faible” et avec des gènes “défaillants”. Le frère d’Aldous Huxley pensait que l’eugénisme scientifique permettrait d’améliorer la condition humaine et la société, l’humanité dans son ensemble.
Le transhumanisme se pose aussi comme une nouvelle religion puisque l’homme s’accapare alors le pouvoir de création.Mais là, ça dérive sur la spiritualité donc ce sera pour une autre fois.
La discussion d’aujourd’hui c’est l’eugénisme.
Le fait de sélectionner des gènes humains, des comportements, des types de physiques considérés comme “meilleurs que les autres”, et les faire se reproduire, tout en mettant de côté les autres et les laissant dépérir.Non seulement ça uniformise la race humaine selon des critères assez arbitraires (qui peut dire que quelqu’un est plus valable qu’un autre ?) et donc ça élimine toute diversité sur le long terme, mais en plus, on voit les glissements que cela peut avoir en termes d’extermination d’une partie de la population (il suffit de revenir peu de temps en arrière avec l’esclavage, la ségrégation, la stérilisation forcée des femmes noires, la seconde guerre mondiale et l’extermination des juif-ves, autistes, homosexuel-les, tziganes, personnes avec des troubles psys etc).
Bref.
En considérant le vieillissement - et la mort - comme une faiblesse de la race humaine, on vise à combattre l’âge “grâce à” la technologie.
On se dit que la technologie va nous sauver de notre condition de mortel, de notre humanité. Et à cela, s’ajoute la peur - rarement évoquée - d’être dépassé-e et dominé-e par l’IA et les robots qui, elleux, ne vieillissent pas.
Et cette façon de penser prend de plus en plus d’ampleur aujourd’hui puisque la technologie progresse à une vitesse folle.
Pourtant, le rapport à l’âge peut être tout à fait différent.
Dans beaucoup d’autres cultures non-occidentales, prendre de l’âge n’est pas négatif. C’est justement une richesse, une chance, et une opportunité pour la communauté.
La vie ne s’arrête pas à un certain âge fatidique. Il n’est jamais trop tard pour … rien en fait. On peut (commencer à) vivre sa vie à n’importe quel âge. Les success stories les plus notoires présentent souvent des personnes ayant “réussi leur vie” (c’est à dire, dans notre société capitaliste, étant devenus millionnaires) à 20 ans, voire parfois en étant encore des enfants.Mais on ne parle pas autant de toutes les personnes qui ont atteint leur rêve bien plus tard.Toustes les artistes qui ont grandi et se sont épanouis doucement, pour finalement être reconnus à cinquante, soixante, quatre-vingt-dix ans.
Ce n’est pas une course à la réussite.
Et que veux dire la “réussite” en plus ? Faire de l’argent et avoir de la reconnaissance, juste pour le fait de pouvoir le dire, est vide de sens. Il n’y pas de réel but. Souvent, lorsque je demande à quelqu’un : “ok mais pourquoi tu veux devenir riche ? Qu’est-ce que tu veux en faire?”, la personne me répond qu’elle ne veut juste plus avoir de pression, et pouvoir voyager, s’offrir des plaisirs sans y penser. C’est toujours cette même réponse générique.
Et quand j’essaye de creuser, je vois bien qu’elle est désorientée, car elle ne sait pas vraiment, au fond, ce qu’elle veut à part ça.
En fait, elle se sent juste prisonnière et préssurisée par le système, et, le seul moyen d’en échapper à ses yeux et de devenir riche pour s’acheter une liberté.Liberté, qui, dans notre monde capitaliste dominé par l’argent, est donc une liberté financière.
Mais cela n’apporte pas toujours le bonheur car c’est une envie vide. Tu vois ce que je veux dire ?
Je me rends compte que je dérive sur la notion de réussite dans un système capitaliste donc on va s’arrêter là pour ce lundi.
Passe une belle semaine !
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